Cadre conceptuel

À partir de cette problématique, un cadre conceptuel a été établi en s’appuyant sur diverses notions et éléments qui permettront de trouver des réponses satisfaisantes. La première étape est de bien définir ce qui constitue la valeur universelle d’un musée, mais encore plus important les éléments qui seront utilisés pour estimer le caractère universel de la collection du Louvre d’Abu Dhabi dans ce travail. J’aborderai ensuite les deux approches qui seront exploitées pour traiter le corpus : la biographie de l’objet et le transfert culturel. 

 

Sémiotique des objets et de l’espace

 

La collection du Louvre d’Abu Dhabi n’a pas été explorée dans la perspective des significations et valeurs universelles entourant des œuvres spécifiques de la collection. La polysémie des objets comme sujet d’étude est attrayante, étant une riche source pour explorer un objet. Malgré la perception des objets muséaux comme « ensembles d’objets statiques et décontextualisés », les objets qui sont exposés ou conservés dans les musées sont en réalité situés dans un « ensemble de contextes très précis qui se construisent à travers une série de réseaux et de relations ». Les théories et approches portant sur les sens et l’étude de la sémiologie des objets sont multiples et proviennent de divers domaines montrant la pluralité de ce concept.

 

Dans Interpreting Objects and Collections, Susan M. Pierce, professeur d’étude muséale et directrice du département des études muséales à l’Université de Leicester, approche l’interprétation des sens de l’objet à travers les théories de Ferdinand de Saussure (linguiste suisse), Edmund Leach (un anthropologue social britannique) et Roland Barthes (un sémiologue et philosophe français). L’idée derrière ces principes montre bien qu’il y a toujours un objet qui est ancré dans l’objectivité et même la matérialité (le signifiant chez Saussure, détonation pour Barthes et le signe chez Leach) et ensuite en raison de sa rencontre avec un individu, se forge des signifiés (Saussure) et symboles (Leach), faisant appel à la subjectivité et à la conceptualisation (connotation pour Barthes). Le but de la synthèse de ces théories pour ce travail est d'appréhender le fonctionnement des sens, signes et symboles des objets. C’est à travers ceux-ci que les valeurs des objets pourront être mieux saisies, dans notre cas, la valeur universelle. À titre d’exemple de l’emploi de la sémiotique des objets, nous pouvons nous rapporter aux recherches de l’historien polonais Krzysztof Pomian qui examine dans ses propres études sur les vases des Médicis les changements sémiotiques qui se produisent à travers les « lieux sociaux, le voisinage, les contextes constitués par d’ autres objets, les contextes verbaux, la manière d’exposer les objets et le changement de comportement à l’égard des objets ». C’est pourquoi les objets sont sémiophores, à savoir des objets investis de signification, et non pas simplement des choses dénudées de sens

 

La sémiotique de l’objet ne passe pas que par sa rencontre avec des individus, mais par des nouveaux contextes dans lesquels il s’insère. En entrant au musée, ces objets sont « existant maintenant dans de nouveaux contextes, ce sont des objets qui ont de nouvelles significations. Ces autres significations témoignent des possibilités que nous leur donnons désormais ». L’objet ne prend sens que lorsqu’il est inséré dans un contexte. En mettant de l’avant les précédents et les nouveaux contextes géographiques, historiques et muséales qui donnent sens à ces objets, nous serons mieux à même de discerner la valence universelle qui a été assignée aux objets. Bien que mon travail prend en compte les contextes extérieurs du musées, Davallon semble plutôt opter pour « une autonomie de l’exposition en raison de ce qu’il appelle des frontières, des seuils et zones de transitions qui dirige  , visant à organiser la proposition qu’elle fait au visiteur et à maîtriser le type d’interprétation qu’il peut effectuer ».

 

D’un point de vue muséal, la collection ambitieuse du Louvre d’Abu Dhabi incarne un sujet de recherche qui se prête bien à telle réflexion, car les objets muséaux qui en font partie circulent d’une institution à l’autre et transitent à travers plusieurs réseaux. Elle fait instinctivement partie de l’importante narration universelle du musée. Pomian nomme les réseaux et les vecteurs humains et culturels qui viennent troubler les contextes et les comportements à l’égard de l’objet  des circuits. En raison des divers contextes et transformations, les objets adopteraient, selon le muséologue Peter van Mensch, diverses identités (états). De ce fait, la valeur, le sens, la dynamique et la situation contextuelle des objets qui forment une collection seraient en constante métamorphose. 

 

Mon analyse qui sera à la recherche du sens universel de la collection ne s'étend pas qu’ au corpus lui-même. En muséologie et pour d'autres disciplines, l'environnement est également une source de sens pour l’objet. La mise en exposition est un versant du contexte muséal et est un moyen de rétablir la décontextualisation des objets que nous avons déjà signalée, en leur donnant un nouveau sens. La scénographie d’exposition est un instrument de communication, de mise en contexte et une forme de médiation spatiale, qui marie esthétique et sémiotique. Elle est là pour transmettre la vision de divers acteurs comme l’artiste ou encore le commissaire d’exposition, ainsi que divers objectifs de divertissement, d’éducation et d’esthétique,. La perception de l’exposition comme système de communication a été travaillée par Duncan Cameron, un muséologue canadien, dans les années 1960. Il publie en 1968 son article A Viewpoint: The Museum as a Communications System and Implications for Museum Education dans lequel il amène l’image des objets de musée comme imitant les objets du langage, les expôts (éléments mis en exposition) comme étant des noms communs, les liens entre les objets comme des verbes, l’environnement de l’objet comme les adjectifs et les adverbes, etc. D’autres auteurs reconnaissent la vocation communicatrice de l’exposition comme Nob et Goubert ou encore Ángela García Blanco, autrice ayant un doctorat en géographie et en histoire . 

 

Pour l’étude de la mise en exposition, je me baserai sur le travail sur le mémoire provenant de l’Université du Québec à Montréal et de L'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse intitulé Le rôle de l’espace dans le musée et dans l’exposition: analyse du processus de communicationnel et signifiant écrit par Soumaya Gharsallah et le cadre conceptuel concernant les dispositifs expographiques. Un dispositif expographique est « toute entité ou ensemble pouvant prendre des échelles variables (une salle, un diorama, une vitrine, etc.), siège d'opération sémiotique et dont les limites sont définies principalement par le sens ». D’après Jean Davallon, le dispositif expographique est composé des « objets exposés», peu importe leur nature et des « objets outils d'exposition». Attention, l’objet exposé seul n’est pas un dispositif, il doit être accompagné par une étiquette (cartel), posé sur un socle, etc. D’autres exemples d'objets d'exposition sont les panneaux, les cartels, les vitrines, les cadres, etc. Leur fonction dans l'exposition est seulement pour les besoins de la présentation, mais ils peuvent être créateurs de significations. 

 

Les objets outils d’exposition qui seront le plus adressés pour ce mémoire seront les textes accompagnant l'exposition. Ces textes sont « un ensemble signifiant organisé destiné à être interprété par le visiteur ». Pour Davallon qui reprend les propos de Roy Harris, provenant de La Sémiologie de l’écriture (1993), deux contextes analogues peuvent être désignés lorsque l’on évoque l’écriture  dans l’exposition: le support d’écriture (cartels et panneaux de présentation ) et le contexte lié aux circonstances et aux acteurs de l’opération d’écriture. Le premier contexte peut être encore subdivisé en contexte interne (l’information se trouvant sur le cartel) et contexte externe (l’emplacement). Le contexte en corrélation avec les circonstances signifie tout simplement « – lieu, actions, acteurs, contraintes, etc. – qui ont présidé à la construction de l’objet ». Ce dernier ne pourra véritablement pas être exploité dans son entièreté pour ce travail puisque lesdits acteurs se sont gardés de participer. Pour cette étude de l’espace, un découpage de la salle selon le schéma du Space syntax, c’est-à-dire un schémas en sept unités qui s’emboîte comme des poupées russes, qui permettra un examen de la salle à divers niveaux:

 

« 1)  environnement (0) désigne l'espace extérieur et physique de l'exposition ou du musée ; 2) enveloppe (P) désigne le bâtiment abritant le musée ou l'exposition ; 3) la séquence (Q) est incluse dans l'enveloppe, elle est équivalente au thème ; 4) unité (U) est une subdivision de la séquence et elle correspond au sous-thème ; 5) la sous-unité (sU) est située dans l'unité et elle est un ensemble d'éléments ; 6)  élément (E) est une entité spatiale isolée telle qu'un artefact, un tableau, une sculpture ; 7) le seuil (S) montre la transition, c'est un marqueur de limite (une porte, un sas d'entrée, etc.). » 

 

Toutes ses sections ne sont pas indépendantes et coexistent, elles seront étudiées en conséquence.

 

L’objet, le choix et la manière dont les objets sont exposés, ainsi que l’écriture dans l’espace muséal sont révélateurs de divers contextes et discours conscients et même inconscients parfois des musées. De fait, changer l’environnement dans lequel évoluent et sont exposés les objets a un impact sur leur identité même et amène à une réinterprétation de l’objet

c) Biographie de l’objet

 Je m’appuierai premièrement sur l’approche de la biographie de l’objet. Cette technique d’approcher l’historique de l’objet par Igor Kopytoff se définit comme suit :

 

 « l’étude circonstanciée et réflexive des phases contextuelles par lesquelles est passé un objet avant d’arriver jusqu’à nous et l’étude de sa position actuelle, qui ne peut être comprise qu’à la lumière des phases précédentes – ce qui nous interdit de considérer l’objet  ‟toute chose égale par ailleurs’’, hors de l’histoire. »

 

En retraçant l’histoire de ces objets et les valeurs des objets du corpus, il sera possible de voir comment la valeur universelle est apposée. 



La question est désormais comment retracer les sens de ces objets et leur histoire. Van Mensch approche l’analyse de l’objet dans une perspective de la micro-analyse puisqu’elle concerne directement les artefacts. L’objet est le support d’un certain nombre d’informations qui peuvent être divisées en trois identités (ou états). La première est l’identité conceptuelle qui existe lorsque l’objet est immatériel et que le fabricant-artiste pense au matériau et à l’idée qu’il en a. La deuxième est l’identité factuelle qui comprend les propriétés physiques (matériaux, dimensions, etc.), les fonctions liées aux significations, les valeurs et bien sûr les fonctions, et le contexte. Enfin, la troisième est l’identité réelle, qui est l’agglomération des états précédents et de tous les changements nouveaux qui s’opèrent désormais sur l’objet (voir l’Annexe 1). L’objet habituellement décontextualisé dans le musée peut à nouveau être contextualisé. 

 

L’objet peut aussi être analysé selon la méthode de Jocelyn Létourneau, historien canadien et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire contemporaine du Québec (2001-2015). Pour Létourneau, un objet est la trace de l’activité humaine et il est un « phénomène social total». L’objet possède des sens (il est sémiotique), des valeurs et des symboliques qui témoignent des sociétés. Létourneau propose trois grilles de lecture avec des paramètres à prendre en considération lors de la lecture de l’objet (voir l’Annexe 1). Cette méthodologie s’articule autour de trois axes : l’objet, les producteurs et les propriétaires. Ceux-ci sont analysés en fonction de leurs contextes  de signification, tels que l’espace, le temps et les temporalités, les milieux sociaux et les valeurs culturelles. L’analyse de l’objet repose sur divers aspects comme les matériaux qui le constituent, les usages de l’objet, les relations avec les autres objets et le style et l’hybridation (croisement) de celui-ci. L’objet est sondé à travers ces divers prismes retraçant son essence même. Létourneau pousse sa grille d’analyse plus loin en spécifiant des paramètres particuliers pour les propriétaires et pour les producteurs qui s’apparentent au questionnement entamé par rapport aux objets. 

 

Lorsque l’on tente de tracer la biographie d’un objet, il faut éviter de tomber dans le piège de la simplicité, c’est-à-dire de faire la biographie d’un objet de façon linéaire. Cette approche a véritablement le défaut de ne pas considérer « les discontinuités, les ralentissements voire les interruptions du processus, les failles, les positionnements et repositionnements des différents acteurs, et d’ignorer l’existence de différents plans, de différents registres de traitement du même objet ».

La biographie des objets répond au besoin du travail objectif et matériel de l’objet. Comme la présente analyse porte sur des objets muséaux qui circulent plus qu’à l’habitude et qui sont recontextualisés en fonction de diverses cultures et de divers milieux, une autre approche sera utilisée pour étudier les processus de réappropriation des objets à travers les vecteurs.

 

Méthodes 

a) Documentations 

N’ayant pas pu visiter le Louvre d’Abu Dhabi moi-même (voir le point 2.2.4. Limites) dans le cadre de cette recherche, je me suis entièrement appuyée pour la reconstitution de la salle d’exposition et de l’emplacement des objets sur des vidéos YouTube mises en ligne par des visiteurs du musée. Le bouton Pause est donc devenu mon meilleur ami en me permettant de choisir des cadres utiles pour saisir et déterminer l’emplacement des œuvres dans l’espace. Certaines vidéos permettent même de discerner par la même occasion l’agencement des objets entre eux. J’ai heureusement trouvé une vidéo YouTube intitulée « LOUVRE Museum Abu Dhabi Complete Tour | 4K | Abu Dhabi Tourist Attraction » sur le compte cityofpixels qui offre une visite complète des salles du musée. On y voit bien les œuvres, les salles et les cartels qui vont de pair avec celles-ci. Les reconstitutions à partir de ces procédés technologiques ne sont pas parfaites, puisque certains cartels sont par exemple impossibles à lire, car le vidéographe ne s’est pas arrêté pour les filmer suffisamment longtemps. De manière générale toutefois, le contenu et la qualité de cette vidéo sont suffisants pour y extraire de nombreux détails précieux. Bien que cette vidéo date d’il y a un an, j’ai pu avec une autre vidéo du compte « FeelGood Adventures » datant d’il y a six mois, suivre l’évolution de l’organisation de la salle d’exposition. Je ferais donc mention de ces transformations et réorganisations. 

 

N’ayant pas pu discuter avec les conservateurs du Louvre d’Abu Dhabi, j’ai concentré ma recherche sur la publication de Sarina Wakefield Cultural Heritage, Transnational Narratives and Museums Franchising in Abu Dhabi, surtout le chapitre intitulé « New light: the Louvre Abu Dhabi  » puisqu’elle y traite des questions de l’universalité, de la hiérarchisation des artefacts, des lacunes de la collection et qu’elle ponctue ce chapitre d’exemples probants liés à ces deux thèmes. Une autre publication m’ayant permis de rédiger ce mémoire est Museums in Arabia (2016) de Karen Excell et Sarina Wakefield. Cette publication porte sur la croissance des musées dans la région persique et les approches et nombreux paradigmes de ces musées. Même si elle fait peu  mention du Louvre d’Abu Dhabi et de sa collection, elle aborde une question qui occupe une place prépondérante dans la réflexion menée sur l’essence de ce musée, à savoir la possible dissonance entre la volonté des autorités face à la modernité tant désirée et la tradition au sein de la société et des communautés arabes. La modernité à laquelle aspire la culture émirienne se manifeste par la formation de collections d’un grand calibre, puisque tout dans les EAU est marqué au coin d’une folie des grandeurs sans limites. Les collections ainsi constituées pourraient malheureusement faire ombrage au patrimoine local et à sa préservation. Je me suis fondée aussi sur d’autres ouvrages rédigés par ces deux auteurs, notamment Cultural Heritage in the Arabian Peninsula, Debates, Discourses and Practices.

 

 Les catalogues des objets des multiples expositions auraient aussi pu être une ressource formidable pour avoir une meilleure idée de la nature des objets. Ces catalogues peuvent être consultés à la bibliothèque publique de Paris, ainsi qu’à la Bibliothèque nationale de France.  Les guides et catalogues de musées auxquels j’ai accès répètent le même discours que l’on retrouve déjà dans d’autres publications le département de la Culture et du Tourisme d’Abu Dhabi. J’ai également trouvé des sources et de la documentation surtout en ligne concernant les œuvres et objets de mon corpus qui serviront pour la recherche. Cela a facilité l’élaboration du formulaire pour les entretiens et constitue également la base de l’établissement de la biographie de chaque objet. 

 Afin de pouvoir faire le point sur de nombreux aspects de la collection du musée, j’ai consulté des sources en diverses langues : français, anglais, espagnol et arabe. La traduction de ces sources a été faite par l'intermédiaire de Google Translate. Pour la langue arabe, mes collègues arabes du programme TEMA+ m’ont suggéré les sites comme Systran et Doc translator, dont la traduction est beaucoup plus fiable et précise. 

 

Afin de pouvoir mieux cerner l’idéologie du musée, j’ai écouté les podcasts « On Show » produits par le musée d’Abu Dhabi. Ces podcasts ne sont donc pas seulement des outils de création d’images, mais également de recherche. Même si ces podcasts s’adressent avant tout au grand public, ils m’ont tout de même permis d’obtenir des précisions sur la nature et l’organisation de la collection.

 

b) Entretiens devenus questionnaire ou le mal de tête

Les entretiens devaient être un élément clé de ma recherche, mais je n’ai cependant pas, en fin de compte, réussi à les faire (voir 2.2.4. Limites). Je vais donc décrire le processus que j’ai appliqué pour l’entretien et l’établissement du questionnaire, puisque celui-ci m’a tout de même servi à l’écriture de la dernière section de mon mémoire. 

Nous devons, hélas, toujours conjuguer avec des contraintes de temps et d’horaire. Même si j’ai commencé à faire des demandes pour des entrevues en août 2022, je n’ai commencé à discuter avec le conservateur ayant répondu positivement à mon mail qu’à la mi-décembre 2022. J’ai relancé le conservateur en janvier 2023 et j’ai pu lui envoyer le questionnaire à la mi-février. Dans le message qui accompagnait le questionnaire, j’ai mentionné la date limite pour me le retourner (le 1er mai 2023) et la date de remise de mon mémoire. Le conservateur m’a conseillé  de le relancer au début d’avril en dernier ressort, ce que j’ai fait et je n’ai pas eu de réponse. N’ayant pas eu de réponse le 1er mai, mais plutôt le 5 mai me proposant de répondre à mon questionnaire à partir de la semaine du 8 mai j’ai entièrement retiré l’entretien de ma méthodologie. 

 

L’entretien devait être semi-directif avec des questions ouvertes et me semblait être la meilleure option. Je voulais obtenir des réponses précises tout en me laissant la possibilité d’intervenir en cas de besoin de précisions sur certains aspects. Mon questionnaire se composait de trois sections : une section administrative, une section sur les objets et finalement une section sur l’espace d’exposition et la conception de celui-ci. J’ai également ajouté des questions un peu générales sur la collection. Les questions de la section administrative portaient sur les politiques et protocoles d’acquisition des objets de la collection. Grâce à ces questions précises à ce sujet, j'espérais pouvoir obtenir des éclaircissements sur le rôle du musée et celui de l'Agence France-Muséums dans la mise sur pied de ces politiques et protocoles. Je voulais également pouvoir faire ressortir les points importants des politiques d’acquisition pour chacune des parties. J’ai soulevé certaines questions qui sont restées avec moi (qui m’ont interpellée) tout au long de mes lectures, comme le propos de Wakefield face à l’absence d'œuvres de minorité. Par ailleurs, j’ai de mon côté, approfondi cette problématique afin d’y inclure l’absence d’œuvres provenant d’Amérique du Nord et du Sud. 

 

La section du questionnaire sur les objets visés par ma recherche comportait des questions qui étaient particulières à chaque objet. On peut prendre l’exemple de la statue d’Ariane Endormie et du portrait de Charles Joseph Crowle. Puisque le musée présente ces deux œuvres comme étant communicantes, dans ce cas particulier, je me suis interrogée sur l’ordre de la sélection, à savoir laquelle des deux œuvres a été choisie en premier. 

 

Il y a trois questions communes pour tous les objets : comment l’objet s'insère-t-il dans le discours universel du musée ? Comment les objets sont-ils ensuite intégrés dans la salle d’exposition de la Première mondialisation ? Et bien naturellement, je me suis demandé quelles étaient les valeurs qui se rattachaient à l’objet (valeurs historiques, culturelles, etc.). Cette dernière question s'accordait avec mon ancienne problématique sur les valeurs plus larges de chaque objet. Ces questions avaient pour but de me permettre de percer le discours et la perception de ces objets et des valeurs que le musée leur attribue. Lors de la rédaction de certaines questions, je me suis imposé une certaine censure, car je ne voulais pas braquer le seul conservateur ayant bien accepté de répondre à mes questions et qu’il refuse de répondre à mes autres questions. Les questions concernant la communauté LGBTQ+ et la nudité abordées par Wakefield qui seront analysées dans la section sur la hiérarchisation de la collection ont été retirées du questionnaire. J’ai plutôt choisi de documenter ces thèmes avec l’aide de diverses publications. 

 

La dernière section du questionnaire concerne la scénographie (parfois appelée expographie) et la muséographie de l’exposition. Mathis Boucher, architecte scénographe pour le Musée du Louvre-Lens, décrit le scénographe d’une exposition comme celui qui est « en charge de la mise en espace de l’exposition. Il transcrit le propos scientifique de l’exposition en un parcours de visite. En mettant en scène les œuvres, il crée un univers, une balade immersive à destination des visiteurs ». On peut à partir d’un éclairage et d’une disposition spécifique des objets et des présentoirs lire les intentions du musée. On peut deviner l’importance d’une œuvre selon son positionnement dans la salle. Les questions de cette section concernent également l’approche muséographique qui a été envisagée et appliquée par le musée : est-elle plutôt scientifique ou bien démonstrative ? D’après eux, la disposition traduit-elle bien le thème de l’universalité et d’autres thèmes sous-jacents qu’il pourrait y avoir ? Voilà le type de questions que j’ai envoyées au conservateur. 

 

Lors de la rédaction du questionnaire, j’ai essayé d'anticiper les relances que je pourrais avoir en formulant des questions très complètes en utilisant un vocabulaire adéquat et neutre afin de ne pas causer de quiproquos. J’ai ajouté certaines notes pour contextualiser plusieurs de mes questions, afin de faciliter et d’orienter mon répondant dans la bonne direction, sans influencer sa réponse et m’assurer que le conservateur comprenne la question et qu’il n’y ait pas de multiples interprétations possibles. J’ai parfois inclus les propos de certains auteurs avec la référence pour indiquer la source d’inspiration de ma question. Le questionnaire a tout d’abord été formulé en français, puis a été traduit par moi-même en anglais. 




c) Visite du Musée du Louvre à Paris et du Louvre-Lens

 

Au début de la rédaction de mon mémoire, je n’avais pas prévu faire des excursions aux Musées du Louvre à Paris et à Lens. Pour le bien de cette recherche, je ne croyais pas qu’il serait nécessaire de visiter ces deux musées. Avec le temps, les lectures, et après avoir essuyé les  nombreux refus des conservateurs de participer à ma recherche, j’ai déterminé qu’il était désormais fondamental d’aller constater sur place la manière dont ces deux musées procédaient avec la scénographie et la muséographie. Ces visites n’avaient pas pour but d’établir une comparaison entre le Louvre-Lens, le Louvre à Paris et le Louvre d’Abu Dhabi. Elles visaient plutôt à me permettre de mieux saisir les modes d’établissement des expositions françaises, qui ont probablement été repris dans une certaine mesure par le Louvre Abu Dhabi.

 

La visite de ces musées a servi à pallier à la non-participation et le silence des conservateurs du Louvre d’Abu Dhabi, puisqu’elle me permet d’analyser moi-même la scénographie et la muséographie du Louvre, dont certains éléments ont certainement été adoptés par le Louvre d’Abu Dhabi. La visite des salles du Louvre devait établir une vision du musée universel et déterminer ce qui a pu inspirer le Louvre d’Abu Dhabi dans sa quête d’un renouvellement du genre. Au Louvre à Paris, j’ai fait la visite des salles qui étaient ouvertes le dimanche 16 avril 2023, puisqu’il n’y avait pas de cases horaires de visite disponible avant cette date. Le Louvre ferme certaines salles certains jours et le mouvement social contre le relèvement de l’âge de la retraite a parfois perturbé l’ouverture du musée. Lors de ma visite de trois heures, j’ai pu explorer diverses salles dans les trois ailes (Richelieu, Denon et Sully). La salle qui a occupé le plus clair de mon temps fut la salle des Arts de l’Islam. Autre que son toit ondulé et doré qui laisse passer les rayons du soleil comme le dôme du Louvre d’Abu Dhabi, cette salle arrange ces vitrines en proposant aux publics plusieurs objets dont la forme et les motifs sont le résultat d’échanges culturels (voir Annexe 1). Cette salle est celle qui s’apparente le plus aux salles du Louvre d’Abu Dhabi, selon mon analyse. Sans surprise, les autres salles du musée étant plus anciennes, la scénographie et l’atmosphère sont très différentes et plus classiques que celle du Louvre d’Abu Dhabi. 

 

Pour le Louvre de Lens, l’exposition qui a été visitée est la Galerie du temps qui semble avoir une atmosphère similaire à la salle de la Première Mondialisation. Ne pouvant me rendre aux musées, car les horaires de trains et de bus ne s'accordent pas avec mon horaire, je fais une visite en ligne de cette salle

 

Je propose donc une méthode qui s’appuie sur le modèle empirique qualitatif. La méthode est définie, mais il reste des enjeux et des limites à définir pour le projet de recherche.

d) Limites

Il importe de tenir compte de certaines limites qui sont inhérentes à l’objet d’étude de cette thèse. Premièrement, mes recherches de terrain n’ont pas pu être réalisées sur place, au Musée du Louvre Abu Dhabi. J’ai décidé de ne pas me rendre à Abu Dhabi pour des raisons sanitaires. En effet, même si la pandémie mondiale de la COVID-19 semble être maîtrisée dans une certaine mesure pour le moment, la situation peut évoluer radicalement et rapidement, comme cela a été le cas en janvier 2022. Chaque pays a instauré ses propres exigences et protocoles sanitaires pour lutter contre la COVID-19, ce qui peut être un vrai casse-tête comme je l’ai déjà vécu au cours des derniers mois. N’ayant pas d’entrevue à effectuer à l’époque, mais plutôt des questionnaires à faire remplir par un seul conservateur, je n’avais donc pas besoin d’être à Abu Dhabi pour cela. Le voyage à Abu Dhabi est aussi onéreux, ce que je ne peux pas me permettre financièrement en tant qu’étudiante, même si l’EHESS a un programme de demande de fonds pour le travail de terrain. 

 

Une autre difficulté liée à cette recherche est le terrain d’étude lui-même. Mon terrain est très institutionnel et toutes les actions et mesures prises par les employés sont très réglementées. L’Agence France-Muséums et plusieurs conservateurs du Musée du Louvre d’Abu Dhabi ont refusé de répondre à mes questions. Vu la façon dont le lancement du musée a été accueilli par le milieu universitaire et médiatique international et les controverses que le musée a suscitées, je suis donc très peu surprise par ces refus. Mes premières tentatives afin de trouver des enquêtés ne furent pas fructueuses, on continua à me référer à d’autres enquêtés qui serait mieux placé pour répondre à mes interrogations quant à la collection. J’ai également fait face à des silences à mes messages envoyés à partir de mon adresse mail du EHESS de la part de certains.  Pour remédier à la situation, mon tuteur m’a fourni une lettre attestant de la légitimité de mon travail auprès des conservateurs/trices du musée. J’ai utilisé celle-ci afin de relancer certains conservateurs qui ne m’avaient pas répondu. Cette lettre fut plus ou moins couronnée de succès. 



J’ai eu plusieurs propositions de divers professeurs voulant me mettre en contact avec des conservateurs d’autres musées que le Louvre d’Abu Dhabi et du Louvre, si aucun conservateur du Louvre d’Abu Dhabi ne voulait répondre à mes interrogations. Je pense que malheureusement, ayant des questions très précises par rapport à cette collection, seuls les conservateurs d’Abu Dhabi pouvaient servir de sources.

 

Mes intentions au début de cette recherche étaient de faire un certain nombre d'entrevues avec différents conservateurs et intervenants qui avaient côtoyé de près les objets de cette collection. Faute de réponse positive, je me suis rabattue sur un seul conservateur.  Un conservateur du Louvre d’Abu Dhabi qui m’a été recommandé par d’autres conservateurs que j’avais contacté précédemment. La plupart des domaines d’expertise de ce conservateur étaient peu compatibles avec les thèmes et les courants artistiques se trouvant au centre de mon corpus puisqu’il est un conservateur des arts contemporains qui généralement se définissent comme de l’art datant de 1945 à aujourd’hui, alors que mon corpus se situe temporellement du XVIIe siècle au le XVIIIe siècle. Si j’avais réussi à faire une entrevue avec le conservateur, cette étape de mon travail aurait été incomplète, puisqu’il aurait fallu des conservateurs de diverses nationalités, surtout un conservateur émirien pour profiler l’exposition et mon corpus sous presque tous ses angles.

 

Ma recherche est également limitée en raison de mon ignorance de la langue arabe. Bien que l’on m'ait recommandé des sites de traduction, il reste que certains sens se perdent dans les traductions automatiques. Je ne suis pas non plus une experte de la culture arabe et émirienne de par ce fait, il y a absolument des nuances que je n’ai pas pu repérer et comprendre. Pour contrer ces problèmes de recherche, j’ai pu solliciter l’aide de collègues de classe, mais ayant eux même besoin de produire leur mémoire pour le 15 mai 2023, je n’ai pas voulu abuser de leur gentillesse. 

 

Il a été porté à mon attention que les sources académiques en arabe sont relativement difficiles à trouver en faisant appel aux canaux habituels. Afin d’élargir mon champ de recherche, j’ai consulté l’IREMAM, l'Institution de Recherches et d’Études sur le Monde Arabes et Musulmans et le site de l’institut du monde arabe disponible à l’Humathèque (bibliothèque) de l’EHESS. Mes recherches m’ont également amenées sur des bases de recherches qui m’ont été suggérées par mes collègues de TEMA+. Ce problème est également rencontré par mes camarades de classe cherchant également des sources en arabe. Finalement, je n’ai pas utilisé ces ressources autres que l’Humathèque, car plusieurs de ces plateformes demandaient la création de comptes payants et les autres n’avaient pas d’articles ou de sources pertinentes pour mon travail. 

 

Je fais également face à un problème au niveau des délimitations des salles d’expositions du musée. Dépendamment de la source consultée soit le site ou bien l’application, le nom des galeries et leur délimitation physique ne sont pas identiques. Ce qui rend la tâche de choisir des objets pour le corpus et l’analyse de la salle plus délicates.  J’avais une question en rapport à ce découpage spatial pour le conservateur, mais j’ai fait le choix de baser mon découpage sur celui de l’application, puisque l’application devrait en théorie être à jour, beaucoup plus qu’une page Web. Les dissonances entre les diverses sources rendent les visites virtuelles complexe puisque le nom des salles diffèrent d’une vidéo à l’autre, par exemple la salle First Globalization (Première mondialisation) est parfois remplacé par la salle A New Art of Living, ou encore les deux salles semblent être communicatrice. 

 

Dans un autre ordre d’idées, durant sa recherche, Élizabeth Derderian qui a fait sa thèse de doctorat sur l’art dans les Émirats a remarqué que le fait qu’elle soit blanche avait eu des répercussions sur le traitement qu’elle recevait de la part des habitants et des gens avec lesquels elle interagissait. Elle parle de Whiteness dans cette recherche.  En tant que femme canadienne ayant travaillé au Musée canadien de l’histoire pendant six ans, j’ai des biais et mes propres avis quant au musée comme la place des communautés et leurs mémoires au sein des musées  et les places des collections. Il faut donc trouver un équilibre entre mes préjugés et le maintien d’une objectivité saine face à mon objet d’étude. Ma recherche est restreinte par ma propre interprétation de la valence universelle des objets. Mon interprétation n’est probablement pas la même que celle des conservateurs ayant élaboré l’exposition. Mes interprétations sont portées par mes études en muséologie et mon expérience de travail. 

 

La dernière limite à laquelle tous les élèves de TEMA+ à Paris font face est la fin de la session d’automne qui se termine en février avec bon nombre de validation à préparer. Plusieurs d’entre nous ont encore des séminaires à suivre et des validations à réaliser pour le semestre d’hiver. Dans mon cas, je dois également accomplir mon stage, puisque ce n’est qu’au semestre 4 que j’ai réussi à trouver une institution qui voulait bien m’accepter comme stagiaire. J’avais déjà prévu de partager mon temps entre la rédaction de mon mémoire, mon stage en ligne de 25 heures par semaine jusqu'à la fin du mois d’avril et le dernier séminaire bi mensuel me restant à valider. En février, nous avons également été conviés à des séminaires « exceptionnels » où notre présence était fortement recommandée. Nous avons donc tous dû revoir notre gestion du temps suite à ces nouveaux séminaires ajoutés à l'extrémiste à notre horaire.

 

J’ai identifié plusieurs limites à mon travail, surtout en lien avec le terrain lui-même. Ses limites ont changé la trajectoire de mon mémoire qui reposait avant sur les contextes et les significations de la collection de la Première Mondialisation du Louvre Abu Dhabi. Malgré ces limites, j’ai adapté mon mémoire et ma problématique afin de pouvoir y répondre sans aller au Louvre d’Abu Dhabi et sans l'assistance de conservateurs. 

 

La première phase de ce mémoire est d’établir le contexte géographique, historique et muséale dans lequel le musée et sa collection évoluent et qui influenceront ceux-ci. 

Créez votre propre site internet avec Webador